Mais les chiens ne l’aimaient pas

Ève DERRIEN

Nous, tout ce qu’on a vu d’abord, c’est Sam qui courait sur la crête, comme s’il croyait avoir retrouvé son corps de jeune chien, et ça marchait : il allait comme le vent. Et Non qui courait derrière lui. On la voyait de dos, d’assez loin, mais on sentait qu’elle y mettait tout ce qu’elle avait dans le ventre. Sam était vieux, Sam était aveugle d’au moins un œil et demi, Sam était son préféré. Ça faisait un bon moment déjà qu’il n’y voyait plus du tout d’un côté, et à peine de l’autre, et, pour le faire manger, Non posait la main sur sa tête pour le guider, sinon il essayait de manger à côté de sa gamelle, là où il n’y avait rien.

Ce jour-là, il courait comme s’il y voyait, et il courait sur la crête, au-dessus de la vallée, là où les autres bêtes n’allaient jamais, sauf les chèvres, mais les chèvres on ne pouvait rien y faire. La crête était large, ça oui, justement, assez large pour qu’il y ait un puits ou une cheminée ou juste un gros trou tous les trois mètres, ou moins, sans compter tous les cailloux. Alors, en plein milieu de sa course, Sam est tombé.

Nous, on était sur les remparts, tout au bout, et on était trop loin pour voir dans quoi, si c’était profond ou pas, seulement on l’a entendu crier. Pas un cri de surprise, pas un cri de douleur, mais le mélange des deux dans sa voix de chien, et ça a traversé le ciel, la plaine, le plateau, et ça les a déchirés.

format 135 par 185
15 euros
114 pages
ISBN 9782379120213

Sortie le 10 Novembre  2020