Parle pour les murs

Nathalie Picard

Les textes qui constituent ce recueil ont tous été écrits en écho à un événement, une situation, ou en dialogue avec une œuvre.

Comme des croquis pris sur le vif, in situ.

J’ai choisi de réunir ces poèmes autour d’une unité d’énergie, de forme et de ton que je leur trouvais.

Les « pierres » de mon édifice étaient données, mais cela ne suffisait pas à le faire tenir debout. Comment à partir de cela élaborer un ensemble qui se tienne sans trop d’artifice ?

Il y avait pas mal de murs et d’ouvertures qui revenaient dans mon champ lexical, et j’ai eu l’intuition que je pourrais organiser quelque chose autour de ce dénominateur commun. Partant, j’ai donné à chaque texte un titre, et je me suis essayée à construire quelque chose à partir de ces mots comme si je dressais un plan avec une sorte de logique architecturale : « entrée/accueil/ assemblée / tribune ».

J’ai dessiné ainsi une succession de pièces mentales en enfilade sur quatre niveaux. Des lieux d’où se disent des paroles.

Un peu labyrinthique.

À mon grand étonnement cet ordre donnait au corpus une forme et une tenue. À quelques détails près, aucune autre organisation ne m’a parue si cohérente.

Puis j’ai effacé les titres qui brouillaient la lecture.

Le texte Parle pour les murs, que j’ai choisi de mettre en exergue et dont le titre a donné son nom au recueil m’est venu après coup. Il donne le ton, et tient lieu d’introduction.

ISBN 9782379120534
194 pages / 14 €


PRESSE

Nathalie Picard, combattante de la vérité

Publié par Fulvio Caccia le 13 septembre 2023

Nathalie Picard, Parle pour les murs, Poèmes, Paris, Et le bruit de ses talons, éditeur, 2023, 94 pages, 14 €

Nathalie Picard est une poète « qui vaut le détour » pour reprendre ici un mot célèbre. Son 7e recueil confirme une voix singulière hélas trop méconnue qui s’élève, nette et claire pour faire parler les murs, comme un dazibao, à défaut de les faire tomber. La puissance illocutoire de la poésie est ici retrouvée, mais sans posture, dépouillée de tout lyrisme, réduite à l’os et au pur chant. Moment rare aujourd’hui où la poésie contemporaine cherche toujours ses effets de manche sinon de mode. L’héritage structuralo-marxiste pèse encore, mais pas chez Nathalie Picard qui chante avec ses os tout autant qu’avec son corps, sans doute en écho à son métier de kinésithérapeute. Ecoutez plutôt : Va nue/sans l’ombre du nom/sans l’orgueil du nom/Comme la poussière/A l’endroit où le vent souffle.

Car cette déambulation hors les murs est une quête sans concession de la vérité. D’emblée le premier poème donne le ton : Quand tu vois un arbre sur ton chemin/Tu grimpes à l’arbre et tu t’y caches. Et tu ne te souviens pas que l’arbre était un obstacle/
Qui se cache donc dans la futaie pour annoncer /le jour d’après la fin du monde/à ceux qui se sont terrés à l’intérieur/que le siège est levé/que les démons se sont enfuis/Qu’ils ne reviendront pas pour prendre nos enfants/et les tuer ? C’est la poésie même qui retrouve ainsi un souffle rimbaldien pour reprendre sa place au centre de la Cité.

Cité dont, rappelons-le, elle avait été chassée par le philosophe qui l’accusait de mentir et défendre l’intérêt particulier de ceux qui la déclamaient jadis. Voilà pourquoi la poésie erre hors les murs comme si son secret -le pouvoir originel de la parole- était une malédiction à laquelle la condamnaient à jamais les détenteurs de l’autorité qui la lui avaient dérobée. Là réside sans doute la source de la mélancolie rédhibitoire des poètes qui se souviennent de ce paradis perdu.

La vérité de la langue, on le sait désormais, est dans sa séparation, sa scission fondatrice. Dépasser cette division demeure la tâche du poète hier et aujourd’hui. Encore faut-il que sa voix porte face à la concurrence frontale des Pouvoirs qui usent de tous les subterfuges pour la décrédibiliser s’ils ne l’instrumentalisent pas à leur profit. C’est le cas notamment des dictatures.

À l’heure de l’intelligence artificielle et de la résurgence des fascismes, dire la vérité de la poésie sans tomber dans le double écueil du lyrisme passéiste et d’une modernité exsangue et narcissisée est un défi de taille. C’est pourtant ce défi que relève Nathalie Picard. Comment ? En entrant dans l’arène pour accepter le combat. «  Je me battrai à la loyale/… Je jouerai la mort symbolique sur l’échiquier/des mensonges/Comme un enfant/Petit héros de quatre ans ou de dix serrant le poing/et croyant encore à la vérité.
Mais la vérité qui sort de la bouche des innocents est aussi un sacrifice. Et ce sacrifice consiste à affronter la douleur. Elle se niche dans les peurs et la première et la plus tenace de toutes : la peur de la mort. /La souffrance n’a pas les yeux fermés/elle voit. Que voit-elle donc ? Une autre sorte de lumière/Au fond de la gorge un galet : que le diable n’entre pas/pour habiter les abysses./J’ai faim dit l’enfant/Il cherche de la bouche le sein et boit/Et l’homme cherche le ventre de sa future femme.

Ce sentiment où tout s’effondre et tout renaît est au cœur de l’expérience vécue par le poète authentique ; elle est aussi propre à la révélation mystique avec ses échos christiques que Nathalie Picard assume ici sans fausse pudeur. L’apanage grec et biblique n’est pas en reste non plus chez elle. Ne fais pas comme Orphée/ne te retourne pas vers l’ombre ou encore : J’écris depuis longtemps avec des larmes de feu sur des murs d’oubli que j’ai fini par rendre tangibles en y frappant du poing:/ comme Jacob dans son combat contre l’ange.

Cet itinéraire est un voyage initiatique scandé par quatre cadrans et autant de couleurs qui amène la poète à retraverser, sans l’air d’y toucher, toute la mémoire de la poésie. Les puissances du dedans et du dehors, les forces centripètes et centrifuges, intra-muros et extra-muros sont ainsi convoquées pour nommer les mystères de l’être et ses chatoiements. Maintenant je sais qu’être un corps de femme/… Je vois comment cela s’inscrit en moi, à la façon d’une vertigineuse spirale qui me fixe au sol telle la pointe d’une toupie… Je sens, profondément, à quoi cela invite et comment s’inscrit en moi le possible évident, la possible évidence du sexe de l’homme. La poète ainsi évite les postures militantes tout en affirmant sa différence et de quelle authentique et belle façon !

Un lecteur distrait pourrait reprocher à ces vers d’être prosaïques. Là encore il faut se méfier des apparences et des influences passées. La réception de la poésie française a trop longtemps subi les codes du langage châtié hérités de la Cour. Ici chaque mot est à sa place et résonne de toutes ses harmoniques. Mais alors, me direz-vous, comment, à l’exception de l’émotion qui peut tromper, savoir si un poème est juste ou non ? Pour cela il convient de faire un petit détour par le moyen-âge. L’herméneutique de l’époque, cet art de l’interprétation que m’a fait découvrir une amie philosophe, distingue quatre niveaux de sensibilité. Cela va du littéral à l’anagogique (dimension sacrée) en passant par le moral et l’allégorique.

Nombre de poètes pratiquent une poésie littérale, volontiers descriptive, parfois méditative, mais sans risques. D’autres feront de leurs vers le porte-étendard de leur cause et se contenteront du registre moral. C’est aussi le cas des formes dites nouvelles de poésie, comme le slam. Quant aux intellos, ils attaqueront par le haut et concocteront une poésie de niche qui se veut virtuose, voire hermétique, mais qui, en réalité, ne décolle pas de sa tour d’ivoire, transformant l’émotion en statue de sel.

Rares voire rarissimes sont les poètes dont la poésie traverse les quatre niveaux d’interprétation, partant du bas, de la rue, et montant jusqu’au ciel. Ce sont les poètes pour qui la poésie n’est pas un jeu ou une cause, mais une aventure spirituelle radicale dont la finalité réside dans l’unité de l’Être.
Nathalie Picard est de ceux-là. Voilà aussi pourquoi on retrouve dans son poème la structure quaternaire qui est aussi le chiffre d’une révolution accomplie. Une autre femme, Marie la juive, célèbre alchimiste de l’Antiquité, l’a formulée ainsi en son temps : “un devient deux, deux deviennent trois, et trois retrouvent leur unité dans le quatre.” 

A bon entendeur…